Pour en finir avec La La Land




La La Land. Si vous ne l’avez pas vu, vous en avez certainement entendu parler.
Comme tous les films qui rencontrent un aussi grand succès populaire, celui-ci connaît depuis quelque temps ce qu’on pourrait appeler un retour de bâton. Il n’est pas rare d’entendre des gens critiquer assez violemment le film de Damien Chazelle. Quoiqu’on en pense, cette comédie musicale a eu un succès indéniable, avec 2 746 019 entrées en France (d’après JP’s Box Office). Pour beaucoup, et j’en fais partie, La La Land reste un film immense. Qu’est-ce qui se joue, alors, dans notre amour de La La Land ? 
 
C’est la rencontre entre Seb et Mia, qui ont des rêves, respectivement, de Jazz et de cinéma. C’est une histoire d’amour, donc, tout le monde l’a compris. C’est aussi, peut-être surtout, l’histoire de deux individus qui luttent pour trouver du romantisme et de la beauté dans une modernité morne et prosaïque. C’est ce que beaucoup de spectateurs ont trouvé en regardant le film lui-même. C’est presque méta, oh la la.
 
On peut penser que La La Land ne doit son succès qu’à un effet de mode. Le film a bénéficié d’une importante campagne de communication, les comédiens principaux et le réalisateur ayant participé à de nombreuses interviews à travers le monde. C’est un film qui avant sa sortie avait déjà gagné plusieurs prix, dont plusieurs Golden Globes, ce qui est souvent un argument marketing convaincant. Il a pour têtes d’affiches deux stars du cinéma américain, Ryan Gosling et Emma Stone. Le film précédent de son réalisateur, Whiplash, avait déjà été plutôt remarqué, même par le grand public. Il s’agit d’une comédie musicale solaire, la chanson d’ouverture a pour titre Another Day of Sun, sortie dans le froid de l’hiver (fin décembre aux États-Unis, et fin janvier en France), ce qui a pu donner envie aux spectateurs. Tous ses paramètres jouent sans aucun doute un rôle dans le succès du film, mais ils ne peuvent pas tout expliquer selon moi. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder un autre film qui sera très pratique comme outil de comparaison, The Greatest Showman. Sorti presque exactement un an après La La Land, fin décembre aux États-Unis et un mois plus tard en France, The Greatest Showman est également une comédie musicale, avec aussi de grosses têtes d’affiches populaires (Hugh Jackman, Zac Efron, Zendaya…), le film a aussi eu une importante campagne de communication – mieux encore, les paroliers des chansons du films sont les mêmes qui ont œuvré sur La La Land, la différence étant qu’ils sont ici aussi compositeurs des musiques. Bref, The Greatest Showman réunit presque tous les mêmes paramètres qui ont favorisé le succès de La La Land. Pourtant, il fera en France 591 849 entrées, score respectable, mais qui ne représente même pas le quart de celui de La La Land. Même sans parler de chiffres, il est indéniable que The Greatest Showman ne jouit absolument pas du même statut « culte » que La La Land, et qu’il a représenté un phénomène nettement moins important. Alors le succès de La La Land n’est pas qu’une question de recette.
 
Alors, c’est peut-être la qualité du film qui est en jeu. Ce point-là est difficile à explorer, puisqu’en jugeant de la qualité on entre dans quelque chose de non quantifiable, de souvent subjectif, et de, il faut bien le dire, relatif. Un indicateur, loin d’être parfait, mais qui donne toutefois une idée, est le score sur Rotten tomatoes. Sur ce site, La La Land a un score de 91%, et The Greatest Showman, de 56%. Il apparait qu’il y a non seulement un plus grand nombre de personnes qui ont vu le premier, mais que parmi leurs audiences respectives, La La Land est aussi plus aimé. Je l’ai déjà dit, j’aime La La Land, et je trouve que c’est un bon film, en termes de mise en scène, d’écriture, de musique, d’interprétation. Pour rester d’un point de vue strictement subjectif, je trouve The Greatest Showman effroyable. Je le trouve laid, mal rythmé, larmoyant, et absolument pas maîtrisé. C’est peut-être là que tout se joue, tout simplement, La La Land serait un bon film, ou en tout cas, un film réussi. Il doit son succès au fait qu’il a su toucher un plus grand nombre de spectateurs, par ce qu’il est. Je pense qu’une grande partie de l’évènement La La Land s’explique comme ça, mais il y a autre chose. Il existe beaucoup de films qui connaissent un succès notable, qui sont très appréciés à leur sortie, mais qui ne restent pas dans les mémoires. La La Land a été un phénomène, à sa sortie, il était le sujet de beaucoup de conversations, il a créé des images ancrées dans l’imaginaire collectif, des mélodies iconiques que tout le monde, même les détracteurs du films, reconnaissent. Pour comparaison, Transformers : La Revanche a fait en France 2 276 748 entrées, un score comparable à celui de La La Land ; c’est pourtant, vous me l’accorderez, un film qui a moins marqué les mémoires. 
 
On peut parler, et on a parlé, de mise en scène, de costumes, de décors, de musiques, d’interprètes pour expliquer La La Land, et pourtant il y a quelque chose qui en jeu dont on pourra difficilement rendre compte, c’est la « magie » du film, ce quelque chose en plus qui fait qu’il a été plus retenu que d’autre, et qui est présent dans la plupart des films considérés comme cultes. Je pense que cela a à voir avec le contexte dans lequel on voit les films. Ce contexte joue, à mon sens, inévitablement un rôle dans notre appréciation d’un long-métrage. Je l’ai évoqué rapidement plus tôt, La La Land est une comédie musicale solaire, sortie en plein hiver. Beaucoup ont vu ce film lumineux et coloré (littéralement) en salle pendant une période souvent morne, froide (en France en tout cas), où l’on est peut-être particulièrement réceptif à ce genre d’ambiances. Bien sûr, le succès du film n’est pas que météorologique, mais c’est un exemple de la manière dont le contexte peut nous disposer à apprécier un film ou non. Le cinéma est bien souvent un évènement social, en plus d’un évènement artistique, et je crois qu’une rencontre se crée parfois, entre nous et le film. J’ai vu, comme probablement beaucoup de monde, La La Land avec une personne qui m’est chère, et cette expérience que nous avons partagé nous est resté longtemps après la séance. Mais le contexte ne fait pas tout, puisque si le film n’était pas bon, l’on se serait éventuellement souvenu de ce moment, mais pas forcément du film, ou alors celui-ci resterait dans nos mémoires comme une simple toile de fond. Ici, l’œuvre, La La Land, est constitutive de la valeur du souvenir. Le film a enrichi notre relation, en créant ce moment, et en restant comme un jalon important par la suite, mais notre relation a également enrichi le film, puisque c’est notre présence en tant que spectateurs, en tant que spectateurs qui entretiennent une relation (peu importe laquelle), qui a nourri le film, qui l’a rendu plus fort. Aujourd’hui, il cristallise un moment rare, fragile, et précieux, ce qui le rend unique. C'est ça, le truc en plus, l'élément magique d'un film ; une rencontre accidentelle et parfaite, probablement imprévisible entre un film et des spectateurs.  C'est ce qui échappe aux gens qui n'ont pas aimé le film, et qui ne comprennent pas son succès ; chez eux, et j'en suis sincèrement navré, la rencontre ne s'est pas produite. Ce n'est pas bien grave, il existe pleins d'autres films auxquels ils se sont connectés ou se connecterons ; ce genre de rencontre est, je pense, hasardeuse, mais il existe des films plus à même d'en créer que d'autres, La La Land en est un*. Entendons-nous bien, quand je dis que pour les détracteurs de ce film la rencontre ne s'est pas produite, il ne faut y voir aucune condescendance, c'est un processus hasardeux, une bête question de chance, de moment ; il existe des films immensément populaires dont moi non plus je ne comprend pas le succès. 
The Greatest Showman, en essayant de surfer sur le succès de La La Land, cherchait à recréer artificiellement ce moment, cette rencontre fortuite, avec un budget presque trois fois supérieur, et a échoué, puisqu’il n’est pas possible de fabriquer sciemment ce genre d’évènements (aussi parce que le film est un ratage complet, mais ça n’engage que moi).
 
Ce qui se joue dans La La Land, c’est une rencontre, un échange, entre l'oeuvre et ses spectateurs·rices. La La Land est un film, c’est aussi un écran sur lequel on se projette. C'est un film qui fait rêver, et Here's to the fools who dream. 

* En revanche, sans prendre en compte la question de cette rencontre ou non-rencontre, La La Land reste selon moi objectivement un bon film, a minima. De ceci, l'on peut toujours débattre, que la magie opère ou non.  

Commentaires

  1. https://www.youtube.com/watch?v=qwVs1jLueec

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  2. J'aime bien the Greatest Showman, moi. Et je n'ai pas vu Lalaland mais il va falloir que je remédie à ça rapidement ! Merci pour l'écriture toujours impeccable, tu me ferais lire n'importe quoi.

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