Pantoufle ?
- Alors, comment ça a commencé ?
- C’était il y a deux mois, peut-être trois. J’ai raté mon train, alors quand je suis arrivé ici, mon bureau de tabac habituel était fermé. Je savais en revanche qu’il y avait, à l’autre bout de la ville, un bureau de tabac qui fermait plus tard. Ça m’éloignait de chez moi, bien sûr, mais je n’avais pas d’autre choix, alors j’y suis allé. Vous comprenez ?
- Bien sûr.
- J’y suis allé et j’ai acheté mes cigarettes. En sortant, et en repassant par la petite rue sur la droite du tabac, c’est là que je l’ai vu.
- Que vous avez vu quoi ?
- Pantoufle. Mon chat. Il était assis tranquillement au milieu de la rue, et semblait en pleine conversation avec un autre chat. Ça m’a fait un choc. Je savais que Pantoufle sortait souvent de la maison, mais j’imaginais qu’il allait dans le jardin, ou qu’il trainait dans le quartier.
- Qu’est-ce que vous avez fait ?
- Je l’ai interpellé. « Pantoufle ? ». Il s’est tourné vers moi, et m’a regardé avec une nonchalance insupportable, comme si tout était normal. Il n’a rien dit. Alors j’ai dit « Pantoufle, je ne savais pas que tu fréquentais ce quartier… », je l’ai dis avec trois points de suspension, pour l’inviter à réagir.
- Bien sûr.
- Et là, en me regardant droit dans les yeux, il a levé sa petite patte droite, en a léché le dos, et s’en est généreusement caressé la tête. Ça a été la goutte d’eau. Je lui ai dit d’ailleurs, « Pantoufle, tu dépasses les bornes ! », avec un point d’exclamation.
- Ça l’a fait réagir ?
- J’aurais aimé. Mais non, ses pupilles se sont à peine dilatées. Comme je voyais que l’autre chat n’était pas serein, j’ai décidé d’apaiser les tensions pour l’instant. « Pantoufle, je ne veux pas t’embarrasser devant ton ami, mais on en reparlera à la maison ! », et je suis reparti aussi sec. Je ne voulais pas perdre la face, vous comprenez.
- Et il n’a rien dit ?
- Non, je me suis retourné quand je suis arrivé à l’angle de la rue, il était de nouveau en train de discuter avec l’autre chat.
- Cet autre chat, vous le connaissiez ?
- Pas du tout ! D’ailleurs, Pantoufle n’a même pas pris la peine de nous présenter, ce qui est très irrespectueux si vous voulez mon avis.
- Comment vous vous sentez, à ce moment là, sur le trajet du retour ?
- Tourmenté. Voir Pantoufle dans cette partie de la ville, à cette heure si tardive, c’était quelque chose, mais son comportement en plus ? Je m’attendais à tout sauf à ça.
- Vous avez eu l’occasion d’en discuter ?
- Pas vraiment, non. Pantoufle est rentré à deux heures ce soir là. J’étais déjà au lit mais je l’ai entendu. Le matin j’ai vu qu’il n’avait pas touché à ses croquettes, ça veux dire qu’il a mangé ailleurs.
- Et les jours suivants ?
- Il ne m’a plus adressé la parole. En fait, à partir de là je le croisais à peine. Il partait le matin avant que je me lève, et rentrait tard le soir. Nous n’avons presque plus eu de contact.
- Presque ?
- Un soir, il est rentré assez tôt, et s’est assis près de moi pour regarder la télé. Nous ne nous sommes pas parlé, mais il était là. A partir de ce jour-là, il n’est plus rentré à la maison.
- Vous ne l’avez plus revu ?
- Si, et c’est ça qui a été le plus surprenant. Quelques jours plus tard, je regardais la télé, je crois que c’était le journal. Et la présentatrice annonce un dossier sur les entrepreneurs à suivre. Au milieu de tous les startupers, qui est-ce que je vois ? Pantoufle !
- Qu’est-ce que vous avez ressenti ?
- J’étais abasourdi. Figurez-vous que Pantoufle a lancé une startup, une application qui s’appelle Coussinetwork. Et on dit que ça marche très bien.
- J’en ai entendu parler, oui.
- On ne parle que de ça ! Il est très riche maintenant il paraît. Et les chats ont les yeux rivés sur leurs écrans dans la rue.
- Qu’est-ce que ça vous fait ressentir ?
- Je dois l’admettre, un peu d’amertume. Je n’avais aucune idée qu’il préparait ça. Il aurait pu m’en parler, ou au moins me dire au revoir. Ce n’est pas parce qu’on est monsieur Pantoufle Dewaere que l’on peut se permettre toutes les incivilités.
- Pantoufle Dewaere ?
- Oui, c’est son nom complet. J’adore Les Valseuses.
- Comment vous envisagez la suite, désormais ?
- Je ne sais pas trop.
- Et si vous pouviez dire quelque chose à Pantoufle, maintenant, qu’est-ce que vous lui diriez ?
- « Miaou », sans sourciller.
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