lundi. #2 - Crépuscule Olympique


 

Ce vendredi commencent les Jeux olympiques. Entre enthousiasme béat et rejet épidermique, ce Paris 2024 s’annonce surtout comme le sursaut désespéré d’un monde qui se sait sur le point de mourir. 

Dans l’émission du 29 avril d’Entendez-vous l’éco, sur France Culture, l’économiste du sport Romain Lepetit défend la rentabilité des Jeux olympiques. De sa besace sortent des arguments qui tournent en boucle depuis 2017 : impact symbolique, héritage, lutte contre la sédentarité et pour la pratique sportive. Il n’y aura visiblement pas « d’effet d’aubaine » touristique, mais peu importe on aura l’héritage. Nous n’avons presque rien construit mais ces JO auront quand même couté 0.4% du PIB ( selon les estimations, ce devrait être précisément le montant du déficit du régime des retraites en 2024, ce même déficit qui a servi à justifier l'infame réforme de 2023), mais nous serons riches d’un héritage. 

Bref, comme beaucoup, Monsieur Lepetit peine à justifier son enthousiasme pour un événement dont les bénéfices sont symboliques et obscurs ; comme beaucoup d’économistes, il évolue dans le ciel des idées. En fin d’émission, pourtant, lorsqu’interrogé sur l’impact écologique des jeux, il répond : « Globalement, il faudra réduire la facture environnementale de ces grands événements sportifs internationaux, qui dans leur format actuel, sont condamnés à plus ou moins grande échéance ». 

Condamnés à plus ou moins grande échéance : voilà peut-être la clé pour interpréter ces JO et le bruit qui les entoure. Baroud d’honneur d’un système de production et de commerce mondial au bord de l’implosion. 

Lorsque le futur était désirable

Visuel promotionnel pour la Cérémonie d'ouverture de Paris 2024
Visuel promotionnel pour la Cérémonie d'ouverture de Paris 2024

Ce visuel de la cérémonie d’ouverture a une chose en commun avec tous les autres « concept art » annonçant l’événement : son ciel. Paris 2024 voit, pour sa cérémonie d’ouverture fluviale, des dizaines d’athlètes à bord de radeaux défilant (le long du styx ?) dans une lumière orange de fin du jour. La grande fête se représente elle-même comme crépusculaire. C’est l’ouverture et c’est déjà la fin. Ces teintes roses/orangées se déclinent dans toute l’identité visuelle des Jeux. 


Visuel promotionnel pour la Cérémonie d'ouverture de Paris 2024
Visuel promotionnel pour la Cérémonie d'ouverture de Paris 2024


A cela s’ajoute le choix de typographie. Officiellement, ce lettrage est revendiqué comme une inspiration art déco, évoquant ce style emblématique des années 20 qui ont vu Paris héberger les JO pour la dernière fois. Mais aux yeux des plus nerds, il n’aura pas manqué d’évoquer « Tomorrowland » ou « Epcot », les portions rétro-futuristes des parcs d’attractions Disney. Ces zones à thèmes, ouverte pour la première en 1955 en Californie, incarnent une vision milieu du XXe siècle du futur. 

Une esthétique née dans des années 1950 baignées d’optimisme technologique, c’est-à-dire la foi dans un progrès permanent de l’humanité grâce à ses évolutions techniques – dont il faut bien dire qu’on est largement revenu. Cette typographie ronde et sans serif émule ce temps où le futur était encore désirable. De manière générale, l'esthétique des affiches semble puiser tout droit son inspiration dans cette période des trente glorieuse. 


A gauche, des affiches promotionnelles pour Tomorrowland ; au centre, pour EPCOT ; à droite, pour Paris 2024

Des lendemains impossibles

Monsieur Lepetit l’a dit, et on le sait tous : ce type de rencontre est condamné. Il sera bientôt de moins en moins soutenable de déplacer le monde entier tous les quatre ans, pour des événements qui n’enrichissent que quelques entreprises du BTP, des sponsors et des partenaires médiatiques. Plus grand monde ne croît à ces histoires de paix dans le monde, d’unité derrière le sport et de ruissellement sur toute la population. Il est devenu difficile de vendre des lendemains chantants. 

Dans la même émission sur France Culture, le professeur d’économie Romain Blondeau explique : « Ce n’est pas parce que vous avez des Jeux olympiques que, de fait, vous mettez les gens à la pratique sportive. (…) Il faut vraiment qu’il y ait une impulsion des pouvoirs publics pour [qu’on] aboutisse à terme à une pratique sportive du quotidien ». Comprendre : on est bien d’accord que tout ceci ne sert à rien. En effet, ces cent dernières années, les Olympiades ont été organisées sept fois aux États-Unis. Il semblerait que la population de ce pays aux 33% d’obèses (en 2014, selon l’OMS) ait reçu de ces grandes fêtes du sport un héritage modéré. 

C’est peut-être justement parce que plus personne n’est dupe de ces fables que Paris 2024 convoque, consciemment ou non, une esthétique des années 50, nostalgique d’une époque où le jouet n’était pas encore cassé. L’impensé d’un mode de production mondialisé qui se sait sur le point de disparaître, et essaie de ressusciter sa prime jeunesse, la fleur de son âge. Un dernier sursaut d’optimisme furieux et échevelé, pour dessiner un sourire aux milieux des flammes. 

Allez, bonne semaine, et bons jeux. 





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