Monsieur Basart est fortement perturbé sur toute la ligne
Voilà trois jours que le train est arrêté. Les usagers ont collectivement décidé de manger le premier mort. Hélas, c’est le type qui pue qui a dû faire une sorte d’arrêt cardiaque. Alors, tout le monde a faim. Monsieur Basart ne fait que penser aux croissants au chocolat. Une dame l’interpelle.
- Vous !
- Qui ?
- Vous, là !
- Monsieur Basart ?
- C’est votre nom ?
- Oui.
- Alors, oui.
Un silence s’installe alors que la dame, au teint rougeaud, haute comme trois pommes, écarquille les yeux en regardant Monsieur Basart. Elle a l’air d’avoir oublié ce qu’elle voulait dire.
- Je peux vous aider ?
- Ça va me revenir.
Tout le monde se tait et regarde le duel. Le cadavre pue de plus en plus, quelqu’un l’a mis dans le porte bagage mais il va commencer à se décomposer et alors des morceaux tomberont entre les barres parallèles, et ça c’est inenvisageable.
- Vous n’avez rien fait depuis le début !
- Moi ?!
Monsieur Basart s’indigne mais c’est hélas totalement vrai. Il n’a pas participé à la chasse au pigeon, ni à la confection de matelas en mousse de siège, et n’a même pas voulu arbitrer le match de foot-bébé. Pendant tout ce temps, assis dans son coin, il ne pensait qu’à une chose. Feuilletée, et chocolatée.
- C’est même pas vrai d’abord !
- Si ! Vous devez trouver une solution pour nous sortir de là.
- Et pourquoi moi que je sache ?
La dame écarquille à nouveau les yeux et on dirait que l’un d’entre eux va se faire la malle. Tous les autres usagers regardent Monsieur Basart. Ils ont bien compris qu’il va perdre ce combat.
- Vous avez un pouvoir d’achat, non ?
En plein dans le mille. Monsieur Basart a mis son t-shirt gris. Il baisse les yeux et son ventre gargouille.
- Oui.
- Alors, trouvez une solution.
Monsieur Basart essaie de réfléchir à toute vitesse mais il ne pense qu’à manger. Il décide de tenter le tout pour le tout, se lève et essaye de convoquer une voix virile.
- Mes amis ! C’est moi ou ça commence à bien faire ? Nous devons nous organiser pour nous en sortir, et comme j’ai un pouvoir d’achat, je me propose de prendre le leadership de ce mouvement de libération.
Silence indifférent.
- Alors quoi ! On va se laisser parquer comme du bétail, au prix qu’on paye ! Et pendant qu’on s’entasse dans la puanteur de cadavre, qu’on se laisse insulter et salir, les puissants de ce monde se gavent de croissants au chocolat !
- Quoi ?
- On va se laisser faire ou je rêve ? Ou je rêve ?!
Quelques mous applaudissements et un pet ponctuent la prise de parole de Monsieur Basart. Un homme à la tête couverte de pellicules se lève soudainement.
« Oh non ! Non qu’on va pas se laisser faire ! A l’attaque ! »
Il se jette sur la dame au teint rougeau et commence à l’étrangler.
- Quoi ? Non, non c’est pas ça le plan ! Arrêtez le !
Tout le monde ignore Monsieur Basart et regarde le massacre. Bientôt l’homme aux cheveux sale commence à frapper le crâne de la dame sur le sol. Monsieur Basart devrait agir mais il est lâche et il a faim. Il implore les autres.
- Vous voyez bien qu’il va la tuer !
Une secousse interrompt tout. Le train se remet en route. Un ouais collectif retentit et la bagarre s’arrête. Arrivée en gare de Bibliothèque Valéry Giscard d’Estaing, ça se bouscule pour sortir. La dame au crane ensanglanté et son agresseur sont bras dessus bras dessous et gambadent gaiement.
Monsieur Basart trouve à peine le temps d’être consterné que le cadavre pourri lui tombe dessus.
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