lundi. #4 - Dépistage et spaghettis

 



Il m’arrive de rencontrer des gens qui me ressemblent, pourtant je suis unique. Est-ce que je me suis construit dans des standards uniformes et mondialisés, ou alors est-ce que tout le monde copie sur moi ? Moi, je sais. 

« Vous partez où en vacances ? », demande-t-elle tout en serrant un garrot autour de mon biceps pour faire apparaître une veine dans le creux de mon coude. Certains médecins ont l’art et la manière de bavarder continuellement pendant leur intervention comme pour conjurer dans l’esprit du patient l’idée qu’ils sont en train d’enfoncer une aiguille dans leur peau, de leur prélever du sang, avant d’y chercher les traces d’une maladie du vice qui immunodépressiverait leur corps ou un truc comme ça.  

« On va dans les Pouilles » dit-il, fier, gaillard et enjôleur, allongé sur cette horrible fauteuil bleu où se sont posés des centaines de malades. Il ne sait pas encore que la piqûre qu’il vient de recevoir lui laissera un bleu pendant plusieurs jours. Pourquoi ? Parce qu’il était trop tendu. « Oh super ! » elle s’exclame et elle n’a même pas l’air d’en rajouter, « Nous aussi il faut qu’on le fasse ! ». Nous ? 

Fierté dégueulasse

« Nous aussi il faut qu’on le fasse », on aurait dit qu’elle parlait du dépistage qu’elle était en train de me prodiguer. Après vingt ans, les Pouilles, c’est une fois par an. Chérie, ça y est, j’ai réglé ce problème d’assurance. Il nous restera plus qu’à aller dans les Pouilles et on sera bons pour cet exercice comptable. « Vous risquez d’avoir chaud, non ? », « Oui, mais avec le temps qu’il fait à Paris en ce moment, franchement… », rire entendu.  

« Nous aussi il faut qu’on le fasse » a-t-elle dit et la vérité c’est qu’à ce moment-là je me suis empli d’une espèce de fierté dégueulasse. Fierté d’avoir un coup d’avance sur elle, qui n’est pas encore allée dans les Pouilles, alors que moi j’y vais. Aussi, fierté d’être cul et chemise avec le corps médical. La réceptionniste de la clinique était odieuse et désagréable, mais le médecin machin truc est super gentille et nous partons dans les Pouilles, pas ensemble mais c’est tout comme, parce que nous sommes pareil quelque part, elle et moi. Sympathiques et complices, on a des trucs à se dire en un clin d’oeil, en un tour de seringue. 

Jupes et baskets

Les Pouilles sont truffées de Français et sûrement que la moitié d’entre eux sont des médecins et l’autre moitié des patients, et les premiers ont dépisté les second et tous sont partis d’un rire charmant en pensant à leur voyage à venir dans les Pouilles. 

Assis à une jolie terrasse d’un joli bar de la jolie Bari, nous buvons une bière. J’entends le couple assis à ma droite, ils parlent français. Ils boivent une bière. Puis je les regarde et je me rends compte qu’ils sont à quelques détails près habillés comme nous. Chemises et motifs, débardeurs et rayures, jupes et baskets, shorts et sandales. Je leur souhaite le sida. Ça fera une différence entre eux et moi. 

Allez, bonne semaine. Et bonnes vacances. 



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